Toute l’acuité de la pensée d’Edgar Morin se retrouve dans ce manifeste dont j’aime particulièrement le titre, si évocateur. « Enseigner à vivre ». Belle promesse pour qui travaille sur les sujets de l’éducation. Dans cet essai, Edgar Morin pose d’abord le contexte : la connaissance est en elle-même sujette à erreur et illusion, car une pensée exprimée est déjà une interprétation en soi ; une interprétation influencée par notre empreinte culturelle, nos systèmes de pensée (valeurs, idéologies), par notre affect, notre ego, les défauts de notre mémoire. L’auteur nous rappelle également que nous vivons dans un monde de plus en plus global et complexe, et en même temps instantané, tout en posant le fait que nous sommes tous d’une condition terrienne identique, « terriens, citoyens de la terre ». Pour sortir d’une crise de l’éducation qui est aussi liée à une crise de civilisation (dégradation des solidarités, perte de l’appartenance à une nation, individualisme, incivilité, démoralisation ou angoisse du présent et de l’avenir), l’auteur pose le principe d’une nouvelle éducation, insistant sur des apprentissages globaux et multidimensionnels, autour de la condition humaine, favorisant l’esprit d’analyse et critique des élèves, réhabilitant l’erreur et l’acceptation de l’incertitude. Il insiste sur la nécessité d’une éthique de la compréhension, qui requiert écoute et ouverture sur autrui. Une éducation qui articulerait ce qui nous rassemble : le Grand Récit de la vie, ce que c’est que d’être français, le roman national, supportés par des enseignants plus chefs d’orchestre que sachants.
 
 

 
 

 

Pour la fondation Altitudes, ce nouvel agenda pour l’éducation, posé à partir de grands constats d’ensemble, est un formidable aiguilleur. C’est un ouvrage optimiste écrit à partir d’un constat difficile, et qui montre un chemin de passage pour qui veut s’y atteler. Retrouver une mission irremplaçable pour l’éducation, celle de la présence concrète, de la relation de personne à personne, du dialogue avec l’élève, pour la transmission d’un feu sacré. Il manque à Internet la présence physique, charnelle, active, psychique, réactive et rétroactive de l’éducateur. Seul l’éducateur peut enseigner les pièges de l’erreur et l’illusion, la compréhension humaine, la distanciation critique des réseaux sociaux. Inciter à être humain par son humanisme. Faire comprendre la France multiculturelle par son amour de la France. Être un chef d’orchestre et non plus le sachant. Pour corriger, compléter, apprécier l’apport de l’élève. Renversement du cours même de la classe. Ranimer le désir de savoir par un enseignant possédé par l’Eros et une formation enrichie de matières passionnantes. Faire de la bienveillance, de la reconnaissance d’autrui des piliers du bien vivre. Combattre le mal moral le plus cruel : l’humiliation. Aider à se repérer dans notre civilisation. Aider à moins se tromper, affronter l’incertitude, connaître le monde globalisé, la condition humaine.
 
 

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